Tôt dans la matinée du 6 février, un séisme dévastateur a fait trembler le Moyen-Orient. Sa magnitude de 7,8 en fait le plus violent tremblement de terre qu’ait connu cette région dans la période récente. Son onde de choc a été ressentie jusqu’au Groenland.

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Le tremblement de terre initial et les 145 répliques qui l’ont suivi ont dévasté le Sud-est de la Turquie et le Nord-ouest de la Syrie, provoquant la mort d’au moins 35 000 personnes, et des dizaines de milliers de blessés. Selon Martin Griffiths, directeur de l’agence humanitaire de l’ONU, ce bilan va « doubler voire plus ».

Comme toujours dans ce type de tragédies, la cause immédiate en est d’origine naturelle, mais le nombre de morts et le niveau de souffrances ont, eux, des origines bien humaines. La course au profit, la corruption et les guerres impérialistes ont contribué à transformer un séisme relativement prévisible en une catastrophe absolue.

Catastrophe

Le séisme a frappé alors que la Turquie et la Syrie étaient chacune plongées dans une profonde crise. La Turquie subit une crise inflationniste majeure. Le niveau de vie s’y est effondré tandis que le régime d’Erdogan multiplie les attaques contre les droits démocratiques. Quant à la Syrie, elle souffre toujours des blessures de la guerre civile, qui fait encore rage dans plusieurs régions et dont les flammes sont attisées par l’impérialisme.

Le lundi 6 février, les réseaux sociaux étaient remplis de scènes apocalyptiques de personnes qui fuyaient leur maison pour sauver leur vie, alors que les bâtiments qui les entouraient se brisaient comme du verre. Des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées sans abri, au milieu d’un hiver glacial, tout en essayant de retrouver des amis ou des membres de leur famille qui avaient disparu ou étaient pris au piège sous les décombres.

Le Nord-ouest de la Syrie, où vivent des centaines de milliers de réfugiés, a été particulièrement frappé. Des villages entiers ont tout simplement disparu, comme Basina dans la province d’Idlib, qui n’apparaît plus sur les photos aériennes que comme un tas de débris. Dans la ville d’Alep, qui avait déjà été dévastée par des années de guerre et qui compte des milliers de victimes, beaucoup d’infrastructures essentielles, comme les hôpitaux, ont été détruites par le séisme.

Les dommages de la guerre civile et les combats entre le gouvernement de Bachar al-Assad et les groupes rebelles ne font que rendre plus difficiles l’envoi d’aide aux victimes. C’est particulièrement le cas dans les zones contrôlées par les rebelles dans le Nord-ouest de la Syrie. Cette région ne peut désormais plus être atteinte depuis la Turquie du fait des destructions de routes causées par le séisme mais elle ne peut pas non plus être atteinte depuis le Sud, car le gouvernement syrien ne veut pas autoriser l’envoi d’aide aux rebelles.

Pas un accident

Le niveau de destruction causé par ce séisme ne s’explique pas que par sa magnitude. Bien entendu, le carnage de la guerre civile a rendu la Syrie particulièrement vulnérable. Mais dans le cas de la Turquie, une énorme responsabilité repose sur le régime et sur les entreprises de construction privées, qui ont tous deux contribué à ce désastre.

Ce séisme était relativement prévisible. La Turquie est une région de forte activité sismique. Le géologue turc Naci Görür a déclaré dans une interview à la télévision américaine : « Tous les scientifiques raisonnables, et j’en fais partie, ont prévenu et alerté qu’un tel séisme se produirait il y a des années [mais] personne ne voulait entendre ce que l’on avait à dire ».

Le pays a déjà été frappé par de nombreux tremblements de terre. En 1999, par exemple, un séisme dont l’épicentre se trouvait près d’Izmit dans la province de Kocaeli a tué plus de 18 000 personnes. Ce désastre avait mis un coup de projecteur sur les pratiques des entreprises du bâtiment qui ignoraient purement et simplement les normes de sécurité. Cela avait provoqué une explosion de colère de la population, à laquelle le gouvernement avait répondu en arrêtant certains des promoteurs les plus véreux.

Un de ces gangsters, Veli Gocer, avait été arrêté après la publication d’enregistrements téléphoniques dans lesquels il admettait couper le béton avec du sable et affirmait : « Je ne suis pas un bâtisseur, je suis un poète. [...] si je suis coupable alors je payerais, mais je ne me sens pas coupable. »

Ce parasite n’était qu’un des membres d’une gigantesque clique corrompue qui infestait le marché de la construction turque et était liée par mille « arrangements » et pots-de-vin à l’Etat et au gouvernement de l’époque. Le scandale provoqué par le séisme et sa gestion désastreuse avait d’ailleurs contribué à la chute du gouvernement de Bülent Ecevit et à l’arrivée au pouvoir de l’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdogan, en 2002.

A la suite de cette tragédie, des réformes avaient été promises et de nouvelles normes de construction anti-sismiques avaient été mises en place. Ces mesures ont été réduites à néant par la corruption, mais aussi par les politiques du gouvernement Erdogan.

Un article du Toronto Star souligne par exemple qu’une loi de 2018 a permis de donner des permis de construire à des bâtiments qui ne respectaient pas les normes – en échange d’une commission versée au gouvernement. La construction de 13 millions de bâtiments aurait ainsi été permise par ce système légal de corruption. 

La présidente de la branche d’Istanbul de l’Union des chambres d’ingénieurs et d’architectes turcs, la professeur Pelin Pinar Giritlioğlu, explique :

« Avec les lois prises par le gouvernement, un système de permis arbitraires a été créé pour les entreprises du bâtiment qui contournent les plans d’urbanisme. La construction de ces bâtiments était légale sur le papier alors qu’ils ont des défauts qui peuvent être désastreux. [...] Ce changement de politique a amené à un système dérégulé, opaque [...] Les entreprises du bâtiment ont pu faire ce qu’elles voulaient sans s’inquiéter des normes. »

Ce processus s’est encore accéléré après la tentative de coup d’Etat de 2016 contre Erdogan, après lequel une grande partie des bâtiments et des terrains publics ont été privatisés et souvent offerts à des pontes de l’armée pour acheter leur loyauté. 

Erdogan et le racket du bâtiment

L’empreinte d’Erdogan se retrouve partout dans la catastrophe du 6 février. Depuis son mandat en tant que maire d’Istanbul (1994-1998), et surtout depuis qu’il est devenu Premier ministre en 2003, il a noué des liens très forts avec l’industrie du bâtiment. Ce secteur a joué un rôle important dans la croissance économique de la Turquie dans les années 2000 et 2010, sur lequel Erdogan et l’AKP ont bâti une partie de leur autorité.

L’agence publique turque responsable du logement public répondait directement à Erdogan en tant que Premier ministre et elle s’est considérablement développée durant son règne. En 2014 une enquête pour corruption avait révélé que le gouvernement délivrait des permis de construire accélérés en contournant les municipalités et les autorités locales.

A l’époque, la presse turque avait publié la retranscription d’un enregistrement téléphonique dans lequel on entendait un magnat du bâtiment, Ali Agaoglu, désigner Erdogan comme son « grand patron ».

Il est évident qu’Erdogan et ses amis ont encouragé l’enrichissement de ces magnats du bâtiment pendant des années, à coups de contrats juteux. En tant que président, Erdogan a promulgué des lois qui leur ont permis de contourner les normes de sécurité, tout cela pour bénéficier des retombées politiques de la croissance économique. Le prix de ces arrangements se compte désormais en milliers de morts.

Hypocrisie d’Erdogan et des impérialistes

Le 7 février, Erdogan a annoncé l’instauration de l’état d’urgence pour une durée de trois mois dans les zones touchées par le séisme. Cette mesure donne au gouvernement des pouvoirs étendus. Cette annonce a été immédiatement suivie de la présentation d’une série de lois, qui reviennent en fait à interdire au principal parti d’opposition, le HDP, de se présenter lors des prochaines élections au mois de mai.

Le président Erdogan manœuvre depuis des mois pour tenter de maintenir son taux de popularité, alors que le pays est plongé dans une crise brutale du coût de la vie et que le taux officiel de l’inflation est supérieur à 64 %. Il a par exemple annoncé de nouvelles augmentations des dépenses publiques, tout en renforçant la répression contre les opposants et en alimentant une campagne de propagande contre la minorité kurde et les réfugiés syriens vivant en Turquie.

Erdogan est dans une position vulnérable et il le sait. Il espère qu’en réagissant rapidement à la catastrophe, il pourra faire jouer l’« unité nationale » à son profit lors des prochaines élections. C’est ce qui explique la vague récente d’arrestation de promoteurs véreux.

Mais c’est un jeu dangereux. Le peuple est à bout. Et s’il est trop évident qu’Erdogan exploite cette tragédie pour en tirer un avantage politique ou qu’il était mis en cause directement dans la tragédie, ses manœuvres pourraient se retourner contre lui.

De leur côté, les puissances impérialistes ont versé des larmes de crocodile, particulièrement sur la Syrie, en faisant semblant d’oublier que si ce pays est aujourd’hui aussi démuni face au séisme et à ses conséquences, c’est en grande partie du fait de leurs manœuvres et des sanctions qu’ils lui ont imposées. Alors que des équipes de secouristes de nombreuses nations occidentales ont été immédiatement envoyées en Turquie, aucune n’est partie pour la Syrie, qui n’a pu compter sur l’assistance que d’une poignée de pays.

Les conséquences horribles de ce désastre prévisible sont une nouvelle preuve de la folie et de la cruauté du capitalisme, dans lequel les personnes ordinaires sont littéralement broyées par leurs dirigeants réactionnaires et par la course au profit des parasites capitalistes. Ce n’est qu’en expropriant ces parasites et en renversant ce système corrompu que l’on pourra garantir une vie décente et des logements dignes et sûrs à toute la population !