L’impérialisme américain pousse la Corée du Nord et la Russie à se rapprocher

Alors que le monde est déjà secoué par les guerres qui font rage en Ukraine et en Palestine et s’inquiète face à la perspective d’un conflit à Taïwan, un autre foyer de tension est réapparu dans la péninsule coréenne, où les démonstrations de force se multiplient des deux côtés de la frontière.

[Source]

Depuis le début de l’année, les rapports entre le régime nord-coréen et son homologue du Sud ont dépassé le stade des habituels échanges d’insultes. Aux exercices militaires succèdent les tests de missiles et les envois de ballons remplis de déchets par-delà le 38e parallèle. La Russie est aussi revenue jouer un rôle déterminant sur la scène coréenne.

Cette situation nouvelle est la conséquence des manœuvres aventuristes de l’impérialisme américain en Ukraine. Tous les efforts engagés en 2018 pour rapprocher les deux Corées ont été réduits à néant et l’évolution des rapports de force en Asie orientale fragilise les projets impérialistes des Etats-Unis dans la région. Le réveil de ce conflit assoupi est venu s’ajouter à l’instabilité générale de la situation mondiale.

Ballons, exercices militaires et tests de missiles

Les relations entre les deux Corées se sont tendues significativement depuis que Yoon Suk-yeol a remporté – de peu – les élections présidentielles sud-coréennes en 2022. Yoon représente l’aile « dure », fermement pro-américaine, de la classe dirigeante sud-coréenne. Il a tout fait pour aligner étroitement la Corée du Sud sur l’impérialisme américain, tout en revenant sur la plupart des efforts de réconciliation avec le Nord qu’avait accomplis le précédent gouvernement libéral. Au passage, il a poussé à un rapprochement entre la Corée du Sud et le Japon, tout en dénonçant à grands cris le réchauffement des relations entre la Corée du Nord et la Russie.

Le régime nord-coréen de Kim Jong Un a répondu par ses habituelles bordées d’insultes – une déclaration officielle a même décrit Yoon comme un « idiot diplomatique » et le « destructeur et perturbateur de la situation dans la région » – mais aussi par des essais de tirs de missiles, qui ont une portée essentiellement symbolique.

Cette année, néanmoins, les deux camps ont commencé à agir d’une façon qui marque une sérieuse évolution de la situation.

Lors de son discours du Nouvel An, Yoon Suk-yeol a promis de conclure un nouvel accord militaire avec les Etats-Unis, qui « neutraliserait complètement » les menaces nucléaires et balistiques venant du Nord. Peu après, Kim Jong Un a déclaré devant l’Assemblée populaire suprême de Corée du Nord que « l’unification avec la République de Corée [le Sud] est désormais impossible », et a désigné la Corée du Sud comme un « Etat hostile ». C’est un changement significatif de la part du Nord, qui avait jusque-là toujours affirmé vouloir unifier les deux Corées et revendiquait la souveraineté sur l’ensemble de la péninsule.

Depuis, le Nord a mené une série de tests balistiques, dont un barrage de missiles de croisière fin janvier et l’essai d’un missile hypersonique en mars. Plus récemment, en juillet, Pyongyang a annoncé être en mesure de tester un missile balistique capable de porter des ogives « de très grande taille ».

Dans le même temps, le Sud a mené en février des exercices militaires aériens avec les Etats-Unis. Puis, en juin, les Etats-Unis ont annoncé la tenue de manœuvres de grande ampleur associant les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, qui se sont tenues peu après. Elles ont notamment été marquées par le stationnement d’un porte-avions américain à Busan, le plus important port de Corée du Sud.

Au printemps, ces démonstrations de force ont pris la forme d’un véritable échange de projectiles : pas de missiles ou d’obus, mais de ballons. Le 28 mai, la Corée du Nord a lancé plusieurs centaines de ballons portant des sacs remplis de détritus et d’excréments en direction du Sud. Cela a provoqué des fermetures d’aéroports et a occasionné des scènes très désagréables pour certains passants à Incheon et à Séoul.

Cet épisode a été tourné en ridicule par les médias sud-coréens et occidentaux, qui en ont fait un nouvel exemple du caractère prétendument irrationnel du régime nord-coréen. Mais ils ont omis de préciser que ces ballons nauséabonds étaient une réponse directe à une décision récente du gouvernement sud-coréen, qui a autorisé à nouveau l’envoi de ballons remplis de matériel de propagande en direction du Nord. Dans le même temps, Séoul a aussi décidé de maintenir une loi datant de l’époque de la dictature militaire, qui punit sévèrement tout discours pouvant être considéré comme favorable au Nord. En d’autres termes, le gouvernement de Yoon a provoqué le régime de Kim et ce dernier a répondu.

En réponse aux ballons venus du Nord, Yoon Suk-yeol a suspendu un accord de sécurité conclu en 2018, et a autorisé à nouveau les exercices de tir à munitions réelles dans les régions frontalières. Le son des fusils s’est donc de nouveau fait entendre aux alentours de Panmunjeom.

Les provocations de Yoon s’expliquent simplement. Depuis son élection en 2022, son gouvernement de droite a vu sa popularité s’effondrer alors que le pays était balayé par une vague de grèves. Rien que cette année, il y a eu une grève nationale des médecins et une grève des ouvriers de Samsung, sans parler de nombreuses autres mobilisations de moindre ampleur. Pour ne rien arranger, le parti de Yoon a aussi subi une cuisante défaite aux élections législatives d’avril, qui ont été marquées par une forte participation. Début juillet, une pétition pour réclamer sa destitution a récolté un million de signatures en à peine dix jours. Dans ce contexte, le président Yoon sent sa position vaciller et entretient donc un climat d’hystérie militaire pour tenter de la consolider et de distraire l’attention de la population.

Mais une autre figure joue désormais un rôle clé dans les rapports de force sur la péninsule coréenne : Vladimir Poutine.

La visite de Poutine

Le 18 juin, alors que la tension s’élevait aussi haut que les ballons chargés d’ordures, Poutine est arrivé en fanfare à Pyongyang. C’était sa première visite dans le « Royaume Ermite » depuis 24 ans. Pour lui souhaiter la bienvenue, Kim Jong Un a fait orner les rues de portraits du président russe.

Entre deux cérémonies officielles, les deux dirigeants ont signé un « traité de partenariat stratégique ». Ce document dont le texte intégral a été immédiatement rendu public par la Corée du Nord contient deux éléments centraux : les deux pays s’engagent réciproquement à se prêter une assistance militaire immédiate si l’un d’entre eux venait à être attaqué ; ils promettent aussi de s’aider mutuellement à rompre l’isolement économique causé par les sanctions imposées par les Etats-Unis.

Les aspects militaires de ce traité sont équivalents aux dispositions de l’OTAN : une attaque contre un est une attaque contre tous. Kim Jong Un n’a pas perdu de temps pour qualifier ce traité de « grande alliance entre la République populaire démocratique de Corée et la Russie ».

La raison de ce brusque réchauffement des rapports entre les deux pays après des décennies de relations relativement froides est à chercher en Ukraine.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie suite aux provocations des Etats-Unis et de l’OTAN, l’impérialisme occidental tente d’isoler politiquement et économiquement la Russie. Ces manœuvres hasardeuses ont eu pour effet de pousser les adversaires de l’OTAN à se rapprocher les uns des autres. La Russie est devenue de plus en plus dépendante économiquement vis-à-vis de la Chine – qui est le principal rival stratégique des Etats-Unis. Et aujourd’hui, c’est à tour de la Russie et de la Corée du Nord, toutes deux frappées par les sanctions américaines, de se rapprocher.

La poursuite de la guerre en Ukraine signifie que la Russie a besoin de plus en plus de munitions, qui sont difficiles ou coûteuses à se procurer à l’étranger, du fait des sanctions imposées par l’Occident.

Disposant d’une vaste industrie militaire nationalisée, la Corée du Nord dispose d’énormes réserves de munitions ainsi que d’une capacité de production importante, qui lui permet de ravitailler la Russie et de compléter les capacités russes, qui sont déjà considérables.

Par ailleurs, les Etats-Unis ont fourni à l’Ukraine des missiles à longue portée. Ceux-ci sont capables de toucher le territoire russe et ont déjà été utilisés par l’armée ukrainienne pour frapper la Crimée. L’alliance conclue par la Russie avec la Corée du Nord offre à Poutine un potentiel argument pour dissuader les Etats-Unis d’envoyer davantage d’armes à l’Ukraine : il peut désormais menacer de fournir à la Corée du Nord des missiles équivalents, qui feraient peser une menace significative sur la Corée du Sud, le Japon et les bases américaines en Asie orientale.

En contrepartie des munitions qu’elle reçoit, la Russie fournit à la Corée du Nord les denrées alimentaires, les matières premières et les technologies dont celle-ci manque cruellement. Cette aide serait d’une ampleur telle qu’elle aurait permis d’atténuer la crise économique, qui frapperait la Corée du Nord à la suite de la pandémie de COVID.

La Russie et la Corée du Nord sortent donc toutes deux gagnantes de cette nouvelle alliance.

Les deux pays voient aussi des avantages à un rapprochement plus durable. La Russie offre à la Corée du Nord une issue hors de son isolement économique et diplomatique, ainsi qu’une alternative à la domination chinoise. De son côté, la Corée du Nord peut être pour la Russie un puissant appui, grâce à son armée puissante et son industrie militaire imposante, qui pousseraient tout rival un tant soit peu raisonnable à réfléchir à deux fois avant d’empiéter sur la sphère d’influence russe.

De manière générale, les deux pays sont la cible d’attaques américaines et le besoin élémentaire de s’unir contre un ennemi commun a poussé leurs deux régimes à tisser des liens. Il s’est donc formé un bloc entre la quatrième (la Russie) et la cinquième (la Corée du Nord) plus grande armée du monde. Les impérialistes américains, et Joe Biden en particulier, en sont les premiers responsables.

Les Etats-Unis tenus en échec

Les Etats-Unis sont-ils heureux de ce dénouement ? Pas le moins du monde. Cette alliance entre la Russie et la Corée du Nord porte un coup dur à la stratégie américaine en Asie, qui consiste essentiellement à contenir la Chine en s’appuyant sur la Corée du Sud et le Japon, notamment sur la question de Taïwan.

Grâce à l’entrée en scène de la Russie, la Corée du Nord a renforcé sa position face aux Etats-Unis et à leurs alliés. Elle peut faire peser une menace considérable sur le Japon et la Corée du Sud. Cela signifie que ces pays, ainsi que les Etats-Unis, doivent potentiellement investir davantage de moyens militaires pour faire face à une éventuelle attaque nord-coréenne, ce qui en laisse d’autant moins à consacrer à Taïwan.

Un tel renforcement militaire, particulièrement en Corée du Sud, pourrait déboucher sur une course aux armements avec la Corée du Nord dont les conséquences seraient imprévisibles pour les Etats-Unis et qui détournerait leur attention de la Chine.

De plus, le traité signé entre la Russie et la Corée du Nord marque l’échec total des tentatives américaines de dénucléariser la Corée du Nord.

Depuis trois décennies, les Etats-Unis ont multiplié leurs efforts pour tenter d’empêcher la Corée du Nord de développer l’arme nucléaire. Mais, malgré les conditions d’isolement drastiques dans lesquelles elle se trouvait, la Corée du Nord a non seulement résisté à ces pressions, mais elle a aussi maintenu et développé son arsenal nucléaire. D’après l’Institut coréen d’analyses de défense, elle disposerait aujourd’hui de 80 à 90 têtes nucléaires.

La Corée du Nord a systématiquement refusé de se plier aux sanctions et aux condamnations qui la visaient de toutes parts, non seulement des Etats-Unis, mais aussi, par le passé, de la Chine et de la Russie. Le régime bureaucratique de Pyongyang a fait de ses programmes militaires sa priorité absolue. Cela lui a permis de poursuivre le développement de ses armes nucléaires, même si cela signifie aussi que son économie semblait toujours sur le point de s’effondrer.

La stratégie américaine consistait à isoler la Corée du Nord, jusqu’à ce que l’effondrement de son économie l’oblige à négocier l’abandon de son programme nucléaire en échange de la levée des sanctions. Mais, en cherchant à isoler la Russie, les Américains l’ont poussé à se rapprocher de la Corée du Nord, et celle-ci en a profité pour rompre son isolement. La stratégie américaine vis-à-vis de la Corée du Nord a donc mené à une impasse, mais cela n’a pas fait changer d’un iota la position officielle de Washington.

Malgré ce véritable déni officiel, certains stratèges américains, comme Doug Bandow du Cato Institute, reconnaissent que les gouvernements américains successifs ont produit exactement l’inverse de ce qu’ils cherchaient à obtenir : « En réclamant une dénucléarisation totale, les gouvernements successifs ont poussé la Corée du Nord à devenir une véritable puissance nucléaire. Il n’y a qu’en reconnaissant nos échecs et en changeant de cap que nous pourrons véritablement contenir les ambitions nord-coréennes. »

Du fait de l’appui de la Russie, qui fournit à la Corée du Nord énormément de technologies et de matières premières, la « possibilité de véritablement contenir les ambitions nord-coréennes » est devenue un vœu pieux. La Corée du Nord n’a plus aucune raison de réduire son arsenal nucléaire. Tout l’incite au contraire à le renforcer encore davantage.

Il est évident que l’impérialisme américain a été sérieusement affaibli en Asie et que cela est le fruit de ses propres erreurs stratégiques.

La position de la Chine

En général, tout affaiblissement de l’impérialisme américain en Asie est une bonne nouvelle pour Pékin. Pourtant, lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait du traité signé par la Russie et la Corée du Nord, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, s’est montré très réservé : « nous avons pris note des informations pertinentes. Cette question est du ressort des relations de coopération bilatérale entre la Corée du Nord et la Russie. Je n’ai pas de commentaire à faire. »

Cette réserve est due au fait que la Chine cherche à se rapprocher de la Corée du Sud et du Japon, qui étaient respectivement l’an dernier ses cinquième et sixième plus gros partenaires commerciaux, loin devant la Corée du Nord. Dans ces deux pays, des fractions de la classe dirigeante poussent pour un rapprochement avec la Chine au détriment des Etats-Unis et le gouvernement chinois s’appuie sur ces éléments pour fragiliser l’influence américaine dans la région. Or, l’aggravation des tensions sur la péninsule coréenne ne peut qu’éloigner la Corée du Sud et le Japon de la Chine, qui est une alliée de la Corée du Nord et de la Russie.

Le régime chinois, qui dispose de nombreux leviers économiques lui permettant de faire pression sur la Russie comme sur la Corée du Nord, préférerait sans aucun doute que les deux Corées essaient de normaliser leurs relations.

Le déclin relatif de la puissance américaine en Asie orientale

Les difficultés de l’impérialisme chinois restent bien minimes en comparaison de celles auxquelles sont confrontés les Etats-Unis. Pour faire face au renforcement de la Corée du Nord, Washington est obligé de détourner d’importantes ressources initialement allouées à Taïwan. Ce processus est une nouvelle illustration du déclin relatif de la suprématie mondiale de l’impérialisme américain.

Le gouvernement Biden a fait tout son possible pour provoquer une guerre par procuration contre la Russie sur le sol ukrainien. Il s’agissait d’affaiblir un rival important, de rompre les liens économiques entre l’Europe et la Russie, mais aussi de redorer le prestige de l’impérialisme américain après les désastres qu’il avait subis en Afghanistan et ailleurs. Biden pensait qu’il pourrait s’en prendre à la Russie, vaincre Poutine, et ainsi restaurer la suprématie américaine, au détriment de la Chine.

Ce plan a débouché sur un échec retentissant en Ukraine, mais il a aussi poussé les ennemis des Etats-Unis à se rapprocher les uns des autres, ce qui fragilise les positions américaines en Asie orientale, c’est-à-dire précisément là où les Etats-Unis avaient le plus besoin de concentrer leurs forces pour contenir la Chine.

Pour la classe ouvrière de Corée du Sud, particulièrement celle qui habite dans les villes frontalières, cela signifie vivre à nouveau sous l’épée de Damoclès d’un conflit armé. Cette situation est imposée aux travailleurs de Corée par l’impérialisme américain et par la classe dirigeante sud-coréenne.

Partout où il s’impose, y compris dans la péninsule coréenne, l’impérialisme américain n’apporte que l’exploitation, la division, la guerre et la souffrance. Son déclin ne fait que provoquer encore davantage d’instabilité.

La seule solution pour les travailleurs et la jeunesse de Corée du Sud se trouve dans un soulèvement révolutionnaire pour renverser leurs dirigeants capitalistes, chasser l’impérialisme, et établir un Etat ouvrier démocratique, dans le cadre d’une révolution mondiale qui mettra à bas le capitalisme et les dictatures bureaucratiques dans la péninsule de Corée, en Asie orientale, et dans le monde entier.

Join us

If you want more information about joining the RCI, fill in this form. We will get back to you as soon as possible.