Corée du Sud : les masses repoussent la tentative de coup d’Etat du président Yoon

Dans la soirée du mardi 3 décembre, le président sud-coréen Yoon Suk-seol est apparu dans une allocution surprise à la télévision pour proclamer l’instauration de la loi martiale. Pour justifier cette mesure, il a accusé l’opposition, menée par le parti démocrate, de mener des « activités anti-étatiques » et « d’inciter à la rébellion ». L’instauration de la loi martiale permettait selon lui d’« éradiquer des forces favorables à la Corée du Nord » afin de « protéger l’ordre constitutionnel et la liberté ».

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Les événements se sont alors précipités. La constitution sud-coréenne prévoit qu’il est possible d’empêcher la mise en place de la loi martiale par un simple vote majoritaire à l’Assemblée nationale. Et comme le parti de Yoon (« Pouvoir au peuple ») a subi une défaite écrasante aux élections législatives de cette année, au point de devenir minoritaire avec seulement 90 députés sur 300, il suffisait à l’opposition de se réunir au Parlement pour enrayer son coup d’Etat.

Le premier objectif de Yoon a donc été d’empêcher l’Assemblée nationale de se réunir. Des bus de police ont bloqué les routes qui mènent au Parlement et des soldats en ont forcé l’entrée pour tenter d’arrêter les députés d’opposition qui s’y trouvaient. Pendant ce temps, des chars et des blindés roulaient dans les rues de Séoul et le chef d’état-major de l’armée, le général Park An-su (nommé « organisateur de la loi martiale » par Yoon), annonçait que « toutes les activités politiques, notamment celles qui sont liées à l’Assemblée nationale, aux assemblées régionales, aux partis politiques, à la création d’organisations politiques, aux rassemblements ou manifestations [étaient] interdites ».

Pourquoi ?

La dernière fois que la loi martiale a été instaurée remonte à 1979, lorsque la junte militaire qui était alors au pouvoir avait dû écraser dans le sang, avec le soutien des Etats-Unis, la mobilisation des masses coréennes. La proclamation de Yoon était par contre une tentative évidente et désespérée de défendre ses intérêts personnels.

Le prétexte officiel pour l’instauration de la loi martiale était le rejet du projet de budget par l’Assemblée nationale. Mais en réalité, le gouvernement de Yoon était en crise depuis son premier jour. Ce candidat d’extrême droite avait réussi à capter à son profit une partie de la colère des masses contre le précédent gouvernement des Démocrates. Cela lui a permis d’être élu président. Mais ses attaques contre la classe ouvrière (notamment sa tentative de rétablir la semaine de 69 heures de travail) l’ont rendu très vite profondément impopulaire.

La victoire de Yoon avait suscité un concert de lamentations défaitistes des libéraux, qui parlaient d’un « tournant des masses vers la droite ». En réalité, son arrivée au pouvoir a provoqué une intensification brutale de la lutte des classes. La Confédération coréenne des syndicats (KCTU) a mené toute une série de grèves massives, malgré une répression féroce. Les salariés de Samsung ont par exemple paralysé la filière stratégique de fabrication de puces informatiques. Ce n’est pas un hasard si le général Park a mentionné les grèves parmi les activités interdites sous le régime de la loi martiale.

En juillet, une pétition pour la destitution de Yoon avait rassemblé plus d’un million de signatures. En novembre, plus de 100 000 personnes se sont rassemblées à Séoul pour exiger la même chose. Fin novembre, un sondage Gallup montrait que seulement 19 % des Sud-Coréens approuvaient Yoon et, d’après une autre étude d’OhmyNews, 58,6 % d’entre eux voulaient qu’il démissionne avant la fin de son mandat.

Son impopularité et une succession de scandales de corruption (sa femme est par exemple accusée d’avoir profité de sa position pour commettre des délits d’initiés en bourse) ont même creusé un fossé entre Yoon et son propre parti. Plusieurs ténors de ce parti se sont d’ailleurs publiquement opposés à l’instauration de la loi martiale.

Dans ce contexte, Yoon, privé de toute base sociale significative, a tenté le tout pour le tout en proclamant la loi martiale, espérant ainsi rester au pouvoir et échapper aux poursuites judiciaires. Il n’a réussi qu’à achever de se décrédibiliser et à mettre les masses coréennes en mouvement.

Mobilisation des masses

Immédiatement après la déclaration de la loi martiale, de nombreuses personnes se sont rassemblées devant l’Assemblée nationale et ont affronté l’armée et la police. Des gens ont aussi bloqué les routes pour empêcher les blindés de l’armée de se positionner dans les rues. Grâce à cette résistance qui a ralenti les mouvements de troupes, 190 députés ont réussi à rentrer dans le parlement malgré les forces spéciales qui y étaient déployées. Ils ont pu voter pour lever la loi martiale et retirer toute base légale à l’aventure de Yoon.

Peu après, les troupes qui occupaient le Parlement se sont retirées, mais certains généraux ont affirmé qu’ils ne reconnaissaient pas le vote de l’Assemblée et ne reculeraient que sur l’ordre direct du président Yoon. Pendant ce temps, la foule dans les rues ne faisait que grossir et la KCTU annonçait qu’elle proclamait la grève générale « jusqu’au départ de Yoon ».

A 4h30 du matin, Yoon a finalement été contraint de reconnaître que son pari insensé avait échoué. Il est à nouveau apparu à la télévision pour annoncer que la loi martiale était levée. Ce « coup d’Etat » pathétique n’aura donc duré que 6 heures.

Le rôle des Etats-Unis

Les Etats-Unis ont beaucoup d’intérêts impérialistes en Corée du Sud et ils sont aussi légalement les dirigeants suprêmes de l’armée sud-coréenne, qui est intégrée à la chaîne de commandement des forces armées américaines. Ils se sont opposés, au moins en parole, au coup d’Etat de Yoon. Le secrétaire d’Etat adjoint Kurt Campbell a expliqué que les Etats-Unis observaient les événements en cours en Corée du sud avec une « grande inquiétude » et que les « désaccords politiques » devaient « se résoudre pacifiquement dans le cadre de l’Etat de droit ».

Cette prudence ne doit pas faire oublier la responsabilité des impérialistes américains dans cette situation. Ce sont eux qui ont orchestré la partition de la Corée et ils ont soutenu les généraux sud-coréens pendant les longues décennies de dictature militaire (1945-1960 et 1961-1988). Plus récemment, Washington a apporté un appui total à Yoon lorsqu’il multipliait les provocations vis-à-vis de la Corée du Nord, pour tenter de distraire l’attention de l’opinion publique sud-coréenne.

Mais l’impérialisme américain est entré depuis plusieurs années dans un déclin relatif. Il n’est plus capable comme par le passé d’imposer sa volonté partout dans le monde. Pour contenir ses rivaux – et en premier lieu l’impérialisme chinois – il doit donc s’appuyer d’autant plus sur ses alliés comme la Corée du Sud. Les Américains sont donc très inquiets à la perspective que l’aventure désespérée d’un politicien égoïste ne déstabilise le pays.

Boîte de pandore

En Corée du Sud, comme dans toute démocratie bourgeoise, il existe un arsenal de mesures légales ou constitutionnelles qui permettent à la bourgeoisie de restreindre les droits démocratiques des masses si ses intérêts fondamentaux sont menacés. Le prétexte de la défense de la « sécurité nationale » contre la Corée du Nord a par exemple été utilisé par tous les partis politiques bourgeois pour réprimer le mouvement ouvrier. Mais pour que ces mesures soient efficaces, elles ne doivent être utilisées qu’avec parcimonie et en dernier recours. En mobilisant cet arsenal pour ses propres intérêts égoïstes, Yoon a mis à nu toutes les contradictions et les rouages internes du régime politique de la démocratie bourgeoise sud-coréenne.

En se lançant dans cette aventure absurde et dévastatrice, Yoon a révélé toute l’étendue de sa stupidité. Mais ce facteur n’explique pas tout. Après tout, il n’est pas le seul dirigeant bourgeois stupide ou manifestement irrationnel à travers le monde, ces dernières années. Cette situation est la conséquence de la crise profonde du capitalisme. La classe dirigeante est dans l’impasse et ne peut plus diriger la société comme elle le faisait avant, en temps « normal ». Certains dirigeants, comme Macron en France, perdent la tête sous le poids des contradictions du capitalisme. D’autres, comme Yoon, Trump ou Netanyahou, sont prêts à mettre tout le système en danger pour leurs intérêts personnels.

Malgré sa tentative de coup d’Etat, Yoon reste légalement le président de la Corée du Sud jusqu’en 2027 ! Le Parti Démocrate a saisi cette occasion pour le destituer, en espérant ainsi revenir au pouvoir. Il y a de fortes chances qu’ils y parviennent, alors que Yoon vient d’être lâché par son propre parti.

La classe ouvrière sud-coréenne ne doit accorder aucune confiance à ces politiciens bourgeois. Lorsqu’ils étaient au pouvoir, les Démocrates ont eux aussi réprimé le mouvement ouvrier et ont présidé à l’appauvrissement de la classe ouvrière. C’est pour cette raison qu’ils ont été battus lors des élections de 2022 et que Yoon est arrivé au pouvoir. Leur opposition à son régime et à son coup d’Etat a moins à voir avec la défense de la « démocratie » qu’avec le fait que ses aventures fragilisent la domination de classe de la bourgeoisie. Ils craignent que les provocations de Yoon ne poussent la classe ouvrière à entrer directement dans une lutte qui pourrait mettre en danger l’existence même du capitalisme sud-coréen.

Pour défendre leurs intérêts de classe et leurs droits démocratiques, les travailleurs ne doivent compter que sur leurs propres forces. L’appel de la KCTU à la grève générale « jusqu’au départ de Yoon » est une excellente initiative. Elle doit maintenant mobiliser toutes ses forces pour balayer Yoon et tous ses complices dans le gouvernement et dans l’appareil de l’Etat. Une telle victoire serait une démonstration de la puissance de la classe ouvrière en même temps qu’un encouragement à aller plus loin.

En avril 2023, la KCTU a annoncé qu’elle voulait contribuer à la fondation d’un parti politique défendant réellement les travailleurs. Il est effectivement grand temps que la classe ouvrière coréenne dispose de son propre parti, qui lutte réellement pour mettre fin à la domination des grandes entreprises sur les masses de la population.

Peu importe quel politicien bourgeois remplacera Yoon après le dénouement de cette farce, la crise du capitalisme continuera à saper les fondements de l’ordre bourgeois, en Corée comme à l’échelle internationale. La classe ouvrière a besoin de s’organiser pour renverser le capitalisme, mettre en place une démocratie ouvrière et entamer la transformation socialiste de la société. C’est pour cela que lutte l’Internationale Communiste Révolutionnaire !

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